Histoire des noms de lieux : Stéphane Gendron nous donne les clés

D’où viennent les noms des lieux qui nous entourent ? Stéphane Gendron a mené l’enquête en Touraine et ailleurs. Son livre « L’Empreinte du nom » se dévore comme un roman.

Stéphane Gendron, auteur de “L’Empreinte du nom”, paru aux éditions Hugues de Chivré

La rue Chaude, la Maltaverne, Travaille-Coquin… Les noms des villes, des villages, des lieux-dits et des rues ont tous une histoire. Pour beaucoup, elle remonte au Moyen Age, une époque où l’on appelait un chat, un chat. Le Tourangeau Stéphane Gendron, auteur de « L’Empreinte du nom », nous explique ce que nous disent les noms de lieux. Dans son livre, il donne une large part aux noms toujours en vigueur en Touraine. Stéphane Gendron sera présent au Marché du livre de Noël, les 18 et 19 décembre 2021 à Loches.

Comment vous êtes-vous intéressé à l’origine des noms de lieux ?

J’ai fait des études de lettres et de linguistique à l’université et, dans mon parcours, j’ai découvert la toponymie, l’étude des noms de lieux. Cela m’a tout de suite intéressé. Je me suis rapproché d’un groupe de recherche aux Archives nationales. J’y ai été très bien accueilli et ils ont une bibliothèque formidable ! C’est passionnant d’explorer des régions sous cet angle et j’ai passé une maîtrise et un DEA sur la toponymie. J’avais 22 ans quand j’ai plongé dans ce domaine, et depuis, j’ai toujours continué mes recherches.

De quand datent les noms de lieux qui nous entourent ?

Il existe des noms très anciens, des périodes gallo-romaines et celtiques. Tournon, Loches… sont peut-être celtiques, mais il n’y a pas de documents et on ne peut que formuler des hypothèses. Alors que le Moyen Age, très  prolifique, a laissé beaucoup de traces : des archives, des documents… 90 % des noms actuels sont nés au Moyen Age.

Comment des noms aussi anciens ont-ils perduré ?

La transmission orale à l’époque était très forte, très vivante. Il fallait deux ou trois générations pour qu’un nom soit ancré. Mais après, il dure. Quand on lègue sa terre à son nom, les descendants puis les repreneurs gardent le nom, par respect, par tradition… Ca dure ! L’écrit a pris le relais ensuite : dans les actes de propriété, il y a une volonté de fixer les noms. Néanmoins, les noms changent parfois. Par exemple, quand un nouveau propriétaire est d’une classe sociale différente : certains adoptent des noms plus conformes à leur culture. Le XIXe siècle a beaucoup rebaptisé, avec une volonté de rupture avec le passé.  

Quel rôle ont les noms des villages, lieux-dits… ?

Les noms sont des repères dans l’espace, des jalons dans le paysage parce que chaque lieu porte un nom propre, au sens de « approprié ». On donne un nom qui souligne ce qui est particulier. Vous ne verrez pas « Le champ de blé » en Beauce car des champs de blé, il y en a partout ; en revanche, s’il y a une source, c’est déjà plus intéressant à signaler. Les noms sont basés sur ce qu’on observe : la géographie, l’activité humaine. Le sol, la forme, les cultures…, tous les noms sont les reflets de l’activité humaine. De plus, au Moyen Age, les gens étaient assez directs et souvent ironiques, reflets d’une société violente.
Travaille Coquin (à Genillé, Indre-et-Loire) ou Crèvecoeur désignent des terres qui vont ruiner la santé de leur propriétaire tellement elles sont ingrates. Moque-Souris désigne un moulin où pas même une souris trouverait à manger… D’autres désignent carrément les endroits qu’il ne faut pas fréquenter : Malabri, Maupas, Maltaverne, Malicorne (qui fait du mal à celui qui frappe à la porte) ; à Saint-Paterne Racan, l’auberge La Belle Etoile se trouve juste à côté de la parcelle Coupe-Gorge !

Que s’est-il passé au XIXe siècle ?

Dans les villes, on a beaucoup renommé les noms des rues afin de rendre la ville plus acceptable pour la bourgeoisie qui s’installe. Les noms qui évoquent la saleté ou des métiers associés à la saleté sont remplacés : les rues des Fumiers disparaissent, tout comme celles qui évoquent les bouchers ou les tanneurs. Les lieux de prostitution prennent une apparence plus respectable : à Tours, la rue Chaude devient la rue de la Préfecture, celle de Buzançais devient la rue de la Vertu.
Au fil de l’urbanisation, on donne des noms de personnages et d’élus, en fonction de la couleur politique locale. A Saint-Pierre-des-Corps, il existe une rue Youri Gagarine. La ville avait d’ailleurs accueilli le cosmonaute soviétique Guerman Titov en 1967. Et la visite se terminait par l’inauguration du Carrefour des Cosmonautes.

L’Empreinte du nom – Villes, villages, hameaux et autres lieux-dits, par Stéphane Gendron, éd. Hugues de Chivré. 20 €.